mercredi 22 mai 2013

“Ce composé si bizarre avait un sens allégorique, et figurait le soleil sous les signes de la vierge et du lion” (Antoine Morison - XVIIIe s. - à propos du Sphinx de Guizeh)

Dans son ouvrage Relation historique d’un voyage nouvellement fait au mont de Sinaï et à Jérusalem (1704), le sieur Antoine Morison se présente lui-même comme chanoine de Bar-le-Duc et chevalier du Saint-Sépulcre.
De la même manière que ses remarques sur les pyramides du plateau de Guizeh semblent embryonnaires au regard de l’égyptologie scientifique, ce qu’il note du Sphinx tient de l’observation étrangement imprécise.
D’où tient-il que la “masse effroyable” du Sphinx aurait été taillée dans la montagne, puis transportée à l’endroit où le colosse se trouve actuellement ? Il n’est pas étonnant qu’il en arrive à se demander à quelles machines les Égyptiens ont eu recours pour ce chantier titanesque...
D’où tient-il également que la tête du Sphinx est creuse ?
On remarquera, par contre, qu’Antoine Morison se joint à la liste des auteurs faisant mention de couleurs sur le Sphinx, notamment sur son visage. Un tel détail, qui ne peut échapper a regard, ne s’invente pas...


Illustration B.Livadas and Coutsicos


“La ville du Caire ayant depuis été bâtie en partie des ruines d'Héliopolis, il en reste peu de vestiges. Ce que nous y vîmes de plus remarquable fut quelque reste de ses anciennes murailles, une très belle et très haute aiguille de marbre granite, presque semblable en tout à celle de Cléopâtre en Alexandrie (...) et une (1) Sphinx d'une grosseur extraordinaire. La sphinx au reste, mon cher lecteur, chez les anciens Égyptiens, si curieux des divinités monstrueuses, n'était autre chose sinon une image qui représentait la tête et le col d'une femme entée sur le corps d'un lion. Ce composé si bizarre avait un sens allégorique, et figurait le soleil sous les signes de la vierge et du lion, dans lequel temps, comme le débordement du Nil a coutume d'être le plus fort ; le culte que ceux d'Héliopolis rendaient à cet astre qu'ils adoraient était aussi le plus fervent.
Cette sphinx, taillée dans un rocher, a environ quarante pieds de longueur. Elle est toute couverte de caractères hiéroglyphiques : elle est parfaitement bien proportionnée dans toutes ses parties, et quoiqu'une partie de la tête soit séparée du reste, et que ses pieds de devant fatigués de porter depuis si longtemps une masse si énorme, aient succombé sous le poids et se soient cassés, on ramasse aisément toutes ces parties qui sont prés du tronc pour en faire un tout parfaitement beau. On ne conçoit pas bien de quelles machines on se servit pour détacher cette masse effroyable de la montagne dans laquelle elle fut taillée, et moins encore comment il fut possible de la transporter sur l'endroit où elle est, et qui en est éloigné de plus de quatre lieues. (...)
À deux cents pas ou environ de la grande pyramide, du côté de l’orient, se voit la tête d’une sphinx, dont le corps est enterré sous le sable. Ce qui paraît du col de cette figure peut avoir quinze pieds de hauteur, et la tête qui est encore toute entière est d’une grosseur si extraordinaire qu’elle fournissait à onze personnes que nous étions assez d’ombre pour nous parer de l’extrême chaleur que nous souffrions dans ces sables. Comme cette figure est sans doute proportionnée, elle doit avoir plus de cent pieds de longueur, et par conséquent sa grosseur est prodigieuse.
Pline en parle avec tant d’exagération qu’il me fait pitié, et je douterais de sa bonne foi en d’autres choses, si je n’excusais sa trop grande crédulité en celle-ci.
La tête de cette sphinx est creuse, ce qui a fait dire que les prêtres de ces temples voisins et ruinés (...), montant à la faveur de la nuit dans cette tête, s’y tenaient cachés pour parler à certains jours marqués au peuple qui s’assemblait et qui écoutait les discours de ces imposteurs, comme des oracles que prononçait cette idole. Ce que j’admirais le plus dans cette divinité monstrueuse était la vivacité de sa peinture, et surtout du vermillon de ses joues, qui semble y être appliqué depuis deux ans seulement, quoiqu’il en ait bien plus de deux mille.”

(1) au féminin dans le texte

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