lundi 27 mai 2013

Il est “assez vraisemblable”, selon Olfert Dappert (XVIIe s.), que la “statue” du Sphinx n’ait pas été taillée sur place

Il fut un temps où les historiens ou géographes n'avaient pas toujours l'opportunité d'aller puiser ou vérifier leurs informations sur place, à leur source même. D'où parfois le caractère approximatif de certains récits bâtis sur des "On dit que..." ou sur une chaîne de témoignages n'ayant a priori d'autre valeur que celle de l'ancienneté, et pas nécessairement de l'objectivité.
L'humaniste néerlandais Olfert Dapper (v.1635-1689), auteur d'une Description de l'Afrique, publiée en 1686, n'a, selon toute vraisemblance, jamais visité l'Égypte. Il s'est contenté de consulter de nombreux récits de voyage et ouvrages d'histoire et de géographie, à commencer par celui de son prédécesseur Pietro della Valle, cité parfois au mot près.
Le rapprochement entre les deux auteurs est à cet effet très éloquent.
Pour rappel : le récit de Pietro della Valle est ICI.

Noter, sur cette illustration, la présence de deux Sphinx

“Près de la rive du Nil, et de la grande pyramide, on voit une figure monstrueuse d'une grosseur extraordinaire ; les écrivains anciens et modernes l’appellent Sphinx et Hérodote Androsphinx. Elle a la tête d'un homme et le corps d'un Lion. Comme les Anciens la représentaient, on est en doute de savoir si cette machine a été taillée d'une roche que la nature ait formé dans cet endroit, ou si elle y a été amenée d'ailleurs, ce qui est assez vraisemblable, parce que les terres adjacentes sont des sables plains et unis.
Pour s'en éclaircir, on a voulu creuser sous le Sphinx, mais on n'a pu en venir à bout, parce qu'il est enseveli dans le sable jusques aux épaules. Cette figure est toute d'une pièce, et la matière en est fort dure. Les proportions du visage, du front, des yeux, du nez, de la bouche, du menton, etc. y sont si bien gardées qu’il est facile de reconnaître que cette statue est d'un bon maître,
Pline en parle en ces termes : “Au devant des pyramides, il y a un Sphinx, qui est encore plus admirable ; c'est comme la Divinité champêtre des habitants. On croit que le roi Amasis y est enterré, et que cette machine a été apportée d'ailleurs. Il est taillé d'une seule pierre polie. La tête de ce monstre a 12 pieds de circuit, 43 pieds de longueur; et en profondeur depuis le ventre jusqu'au sommet de la tête, 162 pieds.”

Détail de l'illustration ci-dessus, avec le Sphinx de droite
On raconte de plaisantes fables de cette statue, par exemple qu'elle rendait des oracles. Les plus clairvoyants soutiennent que c'était une fourberie des prêtres. Ils avaient creusé un canal souterrain qui aboutissait au ventre et à la tête de cet animal. Les prêtres passaient par là, et rendaient réponse à ceux qui venaient consulter l'oracle. Et comme le son de la voix s'augmentait extrêmement dans la concavité intérieure de cette statue, et que ne trouvant point d'autre issue qu'une large bouche, il en sortait avec grand bruit. Les païens crédules demeuraient tout étonnés , et s'imaginant d'entendre la voix terrible de cette prétendue Divinité, se confirmaient dans la fausse vénération qu'ils avaient pour elle. Le Sphinx, à cause du sens allégorique que les Égyptiens lui donnaient, était dépeint en deux manières, sous la figure d'un Lion étendu sur un lit de Justice, ou sous la forme d'un monstre, qui avait le corps d'un Lion et le visage d'une Vierge.
La première représentait Momphta, divinité égyptienne qui commandait sur les eaux et qui était comme la directrice des débordements du Nil. La seconde marquait l'accroissement de ce fleuve. Ces figures ne sont pas une preuve que ces peuples aient cru qu'on trouvait de semblables animaux en quelque endroit du monde. Ce n'était que des emblèmes et des caractères sensibles qui exprimaient leurs pensées, et les Sphinx ne signifiaient autre chose, que l'état où le Nil est, lorsqu'il inonde l'Egypte. Comme ces inondations arrivent au mois de juin et de juillet, lorsque le Soleil parcourt les signes du Lion et de la Vierge, et que les Égyptiens sont naturellement portés à faire de ces sortes d'unions monstrueuses, ils n'eurent pas de peine à imaginer une figure rampante contre terre, composée des parties d'un Lion et d'un Vierge, pour marquer que le Nil mettait leurs campagnes sous l'eau lorsque le Soleil parcourait ces deux signes.
(...)
Les Anciens posaient aussi des Sphinx au devant des portails de leurs temples, pour faire connaître que la science des choses divines consiste dans une sagesse enveloppée de mystères et d'énigmes.”

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