Noël-Antoine Pluche |
En 1739, Noël-Antoine Pluche, plus connu sous l'appellation l'abbé Pluche (1688-1761), publiait son Histoire du ciel, où l'on recherche l'origine de l'idolâtrie et les méprises de la philosophie sur la formation et sur les influences des corps célestes.
Il y décrit le Sphinx de Guizeh, ou plutôt “la” Sphinx, en relation avec le niveau des eaux du Nil, comme une sorte de nilomètre présidant aux travaux agricoles des paysans de l’Égypte ancienne. Une théorie assez récurrente, nous l’avons déjà constaté, parmi les auteurs qui entreprennent de comprendre les fonctions de la sculpture colossale du plateau de Guizeh.
“Tous ces avis fort simples et fort intelligibles étaient précédés d’un autre également nécessaire, qui était de marquer au peuple la juste hauteur qu’il fallait donner aux terrasses pour être à coup sûr au-dessus de la plus forte inondation, sans faire des frais inutiles en les élevant trop. On construisait pour cela dans chaque bourg une muraille ou un terme qui eût la hauteur requise ; et afin que le peuple connût précisément la ligne qui lui devait servir de règle, on la lui désignait en couchant précisément sur cette ligne la figure de la sphinx qui a toujours paru énigmatique et si mystérieuse aux Égyptiens mêmes, dans les temps postérieurs, mais dont le sens s’offre à présent de lui-même à la suite de ce que nous venons de dire.
Cette figure était composée d’une tête de jeune fille, et du corps d’un lion couché, ce qui signifiait qu’il fallait s’attendre à demeurer oisif sur les terrains relevés tant que l’inondation durerait, et qu’elle continuerait au moins pendant deux mois dans sa force, savoir tout le temps que le soleil mettrait à parcourir les signes du lion et de la vierge.
Cette vérité se trouve attestée par le rapport des voyageurs modernes qui nous apprennent que le Nil rentre dans ses bords sur la fin de septembre, ou un peu après, en quoi ils sont d’accord avec Pline, qui place cette rentrée sous le signe de la balance. (...) La figure de la sphinx marquait de plus, par la justesse de son élévation, le point d’excès ou de surabondance, en sorte que si l’eau, passant ce point, venait à couvrir la figure en tout, ou en sa meilleure partie, les Égyptiens ne devaient pas faire les frais du labour, parce qu’à coup sûr la retraite des eaux serait trop lente pour pouvoir semer encore à temps et moissonner au mois d’avril.
Ce qui achève de rendre cette explication certaine, c’est que le nom de la sphinx ne signifie autre chose que la surabondance.
Il n’y a personne qui ne sente que la sphinx était un caractère, un signe, et non un monstre ou un être vivant. On ne s’avise pas de demander quelle est la naissance ou la mère de la sphinx. Ce serait de même perdre ses peines que de chercher dans l’antiquité quels ont été les parents ou la patrie d’Anubis. Ce serait se charger d’un travail aussi inutile que si on cherchait avec soin quelle est la patrie et la généalogie de la lettre A, ou de la lettre B.
On peut remarquer en passant que c’est là l’origine de l’usage où sont encore nos architectes, admirateurs ou copistes de l’antiquité, de décorer les t(h)ermes en y appuyant des sphinx.”
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