Ayant accompagné Bonaparte lors de la campagne d'Égypte, en 1798-1799, et étant considéré comme un précurseur de l'égyptologie, Dominique Vivant Denon (1747-1825) est l'auteur de quelque quatre cents croquis et relevés archéologiques rapportés d'Égypte.
Dans son ouvrage Voyage dans la Basse et la Haute Égypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799, il complète les faits d'armes du futur empereur par des observations et récits moins spécifiquement militaires, dont la description du Sphinx que l'on lira ci-dessous.
Profil du Sphinx, qui rend compte de son état de destruction, et du caractère de cette figure dans les parties qui en sont conservées : les personnages vivants servent d'échelle de proportion ; celle qui est au-dessus de la tête, et que l'on aide de la main, sort d'une excavation étroite, terminée par des décombres, et qui n'a plus que 9 pieds de profondeur. Des échancrures taillées d'espace en espace dans les parties latérales de cette excavation y servent d'échelons pour monter et descendre dans ce trou, dont l'usage est resté dans la nuit du mystère ; le monument que l'on aperçoit derrière est une espèce de tombeau dans le genre des petites pyramides, mais si dégradé, qu'il est difficile d'en rendre compte autrement que par la forme existante de sa ruine. (...)
Je n'eus que le temps d'observer le sphinx, qui mérite d'être dessiné avec le soin le plus scrupuleux, et qui ne l'a jamais été de cette manière. Quoique ses proportions soient colossales, les contours qui en sont conservés sont aussi souples que purs : l'expression de la tête est douce, gracieuse, et tranquille ; le caractère en est africain, mais la bouche, dont les lèvres sont épaisses, a une mollesse dans le mouvement et une finesse d'exécution vraiment admirables ; c'est de la chair et de la vie.
Lorsqu'on a fait un pareil monument, l'art était sans doute à un haut degré de perfection ; s'il manque à cette tête ce qu'on est convenu d'appeler du style, c'est-à-dire les formes droites et fières que les Grecs ont données à leurs divinités, on n'a pas rendu justice ni à la simplicité ni au passage grand et doux de la nature que l'on doit admirer dans cette figure ; en tout, on n'a jamais été surpris que de la dimension de ce monument, tandis que la perfection de son exécution est plus étonnante encore. (...)
Dans l'alignement et à l'est de la seconde pyramide est le sphinx dont parlent tous les voyageurs. La longueur du rocher auquel on a donné la forme de cet animal chimérique, est d'environ 95 pieds jusques à la croupe ; sa hauteur, depuis les genoux jusques au sommet de la tête, est de 38 pieds. Les anciens croyaient assez généralement qu'un conduit ouvert dans le corps du sphinx menait, par des canaux souterrains, à l'intérieur de la pyramide. Il est encore permis à présent de conjecturer que sous ces masses énormes on a creusé des grottes que quelques auteurs croient avoir servi aux mystères de l'initiation.
Sur la tête du sphinx on voit un trou de 5 pieds de profondeur ; on ignore s'il ne se poussait pas plus loin. On trouve encore les traces d'une seconde ouverture de ce genre sur le dos de cette figure. La tête du sphinx porte les caractéristiques de nègres, chose qui lui est commune avec toutes les figures de divers monuments de l'Egypte, lorsque le nez en a été enlevé. Aucun voyageur ne parle des grottes sépulcrales qui se trouvent en assez grand nombre dans le voisinage des deux principales pyramides ; elles renferment à peu près les mêmes sujets que ceux qu'on voit dans la Haute-Egypte, avec cette différence que l'exécution de quelques-unes d'elles est plus parfaite. (...)
Cette statue monstrueuse, et vraiment colossale, a été sculptée dans un morceau saillant du roc sur lequel elle est assise. Elle est d'un seul morceau ; la qualité de la pierre est parfaitement semblable à celle du roc même, sinon qu'elle a été peinte en jaune, et la couleur a été conservée jusqu'à nos jours dans les parties qui ne sont pas ébréchées. Les peintures trouvées dans la Haute-Egypte attestent le talent des Égyptiens pour la composition des couleurs, et l'influence de la sécheresse du climat pour leur conservation.
Le Sphinx est actuellement très dégradé; beaucoup plus qu'il ne l'était en 1738, lorsque Norden l'a dessiné. J'ai fait découvrir son dos assez pour le mesurer. Mais il y aurait une fouille très considérable à faire pour le découvrir en totalité.
Si l'on monte sur la tête, on aperçoit un trou qui a quinze pouces de diamètre à l'endroit le plus ébréché, et environ neuf pieds de profondeur. Sa direction est oblique ; on voit que la profondeur a été diminuée par les pierres que l'on y a jetées.
Il serait difficile de déterminer l'usage de cette cavité, à moins que l'on ne soupçonnât quelque souterrain auquel ce canal aboutissait, et que les prêtres, cachés dans cet endroit, ne rendissent des oracles.
Le Sphinx était infailliblement une idole et la divinité tutélaire de ce cimetière ; la disposition des sables environnants fait soupçonner que la plaine qui est au bas du rocher du Sud, et qui est plus élevée que la crue ordinaire du fleuve, était également parsemée de tombeaux.
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