mercredi 19 juin 2013

“L'origine de cette espèce de figure, le corps d'un lion avec la tête d'un homme, ne me paraît pas égyptienne” (Heinrich Karl Brugsch - XIXe s.- à propos du Sphinx)

L'égyptologue allemand Heinrich Karl Brugsch (1827-1894) est connu pour avoir fondé en 1863 le Zeitschrift für Äegyptische Sprache und Altertumskunde (Magazine pour la langue et l'archéologie égyptiennes).
Il a apporté sa collaboration à Auguste Mariette dans des travaux de fouilles à Guizeh, Saqqarah... En 1870, il fut nommé directeur de l'École d'égyptologie au Caire.
Il est l'auteur d'une Grammaire hiéroglyphique (1872), ainsi que d'une Histoire d'Égypte dès les premiers temps de son existence jusqu'à nos jours (1859), d’où est extrait le texte qui suit.

Auteurs de l'illustration : George Grahame ; Miss Evans (1879)


“Nous possédons un nombre très restreint de monuments qui fournissent des renseignements historiques sur le règne de ce quatrième Tothmosis. Cependant, il en est un qui, par sa grandeur et par sa renommée, surpasse les ouvrages de tous ses devanciers, à l'exception des rois constructeurs des pyramides. L'ouvrage dont nous voulons parler, et qui doit son origine à Tothmosis IV, n'est rien moins que le grand sphinx de Gizeh, abou-'l-hol, le “père de la terreur" comme il est appelé par les Arabes.
L'origine de cette espèce de figure, le corps d'un lion avec la tête d'un homme, ne me paraît pas égyptienne. En vain on chercherait des sphinxes parmi les monuments de l'ancien empire, de même que l'hiéroglyphe représentant cet animal dans les inscriptions de ce temps.
Le sphinx qui se présente sur les monuments, dès le commencement de la dix-huitième dynastie, est un emblème de la divinité dû aux idées des prêtres assyriens. Cette figure fut introduite en Egypte, par suite des relations que la guerre et le commerce fit naître entre les Égyptiens et les Asiatiques. Or, cette figure est adoptée, avec une certaine préférence, par les Égyptiens qui consacraient aux sphinxes les places les plus honorables devant et dans leurs sanctuaires. D'après leurs idées, le sphinx est le roi régnant lui-même. Il a les traits du pharaon qui, sous cet emblème, est censé être le représentant de Dieu sur la terre.
Le sphinx de Gizeh travaillé du roc naturel de la montagne libyque, a une longueur de 57 m 55 cent. Devant la poitrine et entre les deux pattes étendues, il y a une stèle de 14 pieds anglais de hauteur. Elle n'est pas visible, ainsi que toutes les parties inférieures de la figure, à cause des sables qui les couvrent et il faut de grands travaux pour les déblayer. Le tableau qui est sculpté sur la partie supérieure de la stèle en question, représente deux fois le roi Tothmosis adorant l'image du sphinx placé devant lui. Le sphinx y porte le nom de Hor-m-achou, ce qui fournit l'explication du nom d'Armachis donné par les Grecs au grand sphinx de Gizeh. Une longue inscription, au dessous dudit tableau, commence par la date de l'an 1, le 19. Athyrdu règne de Tothmosis IV. Parmi les titres qui suivent cette date, il faut remarquer celui de “le sphinx vivant de Neberder (Osiris)". Le roi est donc représenté comme l'image vivante de la divinité.
L'auteur de la stèle nous apprend ensuite, que le roi n'avait rien épargné pour embellir les villes du Delta : Héliopolis et Memphis, pour accomplir toutes les cérémonies prescrites, pour construire des temples aux dieux et pour leur élever des figures. Après ce panégyrique, la beauté et la puissance du roi est décrite par les expressions hyperboliques faisant (des) allusions continuelles aux divinités.
Vers la fin de la stèle, on rencontre le passage le plus curieux ; le dieu sphinx y est introduit adressant la parole au roi. Voici la partie la plus importante de ce texte : “La Sainteté de ce beau dieu parle par sa propre bouche, comme un père parle avec son enfant, disant : Regarde-moi, jette l'oeil sur moi, mon fils Tothmosis. Moi, ton père Hormachou-Chepra Rà-Toum, je te donne la royauté (sur le trône d'Horus)”.
Par malheur, des lacunes interrompent le texte suivant dont on ne peut reconnaître que le sens des phrases principales. Ainsi le sphinx lui promet : “Le monde dans sa largeur et sa longueur  et de riches tributs de tous les peuples, et une longue durée de vie de beaucoup d'années."
Vers la fin de la treizième ligne détruite, un examen attentif permet de reconnaître les restes du nom Sàfrà porté par un des rois de la quatrième dynastie, fondateur de la deuxième pyramide qui est située derrière le sphinx. Il paraît donc, d'après cette indication, que l'exécution du sphinx n'était pas sans cohérence avec des monuments antérieurs et datant de l'époque de Sàfrà.
(...)
Il est probable que ce pharaon (Tothmosis IV) était voué spécialement au culte du dieu Rà, qui, bientôt, (...) fut élevé au plus haut rang de la religion égyptienne comme le seul et unique principe de tout ce qui existe. Un tel changement des idées, comme le culte du soleil (...) ne pouvait pas entrer subitement dans l'esprit d'un roi réformateur. Il fut préparé au contraire par quelques rois philosophes qui finirent par se déclarer publiquement pour le service exclusif du soleil. 
Le sphinx de Gizeh consacré, comme l'image vivante du soleil, au dieu Rà et quels que soient encore les dénominations de cette divinité, par Tothmosis IV, n'est pas le seul document attestant la prédilection qui avait saisi le roi pour la vénération du soleil. En Nubie, le temple d'Amada avec ses inscriptions datant du règne de ce Tothmosis, sert de nouvelle preuve à notre opinion. Le roi y est désigné partout comme ami du dieu solaire et comme celui qui avait consacré le sanctuaire au dieu Rà Atoum-Hormachou, le grand principe de la création d'après les doctrines modernes des prêtres égyptiens.”

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