dimanche 26 mai 2013

Jean de Thévenot (XVIIe s.) décrit le Sphinx de Guizeh comme “un buste taillé sur le même lieu dans le roc vif, dont il n’a jamais été séparé”

Jean de Thévenot
Extraits du livre second de la Première partie du Voyage de Mr de Thévenot au Levant, où l'Égypte est exactement décrite avec ses principales villes et les curiosités qui y sont, du voyageur français Jean de Thévenot (1633-1667).
Après avoir éludé l’hypothèse consistant à considérer le Sphinx comme un tombeau, l’auteur-voyageur tente de répondre à deux questions :
- Comment pouvait-on pénétrer à l’intérieur du Sphinx ?
- Comment, de l’intérieur, pouvait-on y faire entendre sa voix ?
Une question de... trous. Mais pas n’importe où !

“Devant chacune des trois pyramides se voient encore des vestiges de certains bâtiments carrés, qui semblent avoir été autant de temples, et à la fin du prétendu temple de la seconde pyramide est un trou, par lequel quelques-uns croient qu’on descendait de dedans le temple pour aller dans l’Idole qui est éloigné (1) de quelques pas de ce trou. Les Arabes appellent cet Idole Abou el-haoun, c’est-à-dire Père de Colonne, et Pline l’appelle Sphinx, et dit que les gens du pays croient que le roi Amasis est enterré en dedans. Pour à présent je sais bien qu’ils ne croient point cela du tout, et même ne connaissent pas Amasis ; aussi est-ce une fausse croyance. D’autres disent que ce fut un roi d’Egypte qui fit tailler cette figure en mémoire d’une certaine Rhodope corinthienne qu’il aimait fort.
On dit que ce Sphinx rendait réponse de ce qu’on lui demandait, dès que le Soleil était levé, et de là tous ceux qui entrent dans les pyramides ne manquent pas de dire qu’un prêtre entrait dans cette Idole par le puits que nous avons décrit ci-dessus dans la pyramide, mais pour montrer comment cela n’a aucun fondement, il faut savoir comment cet Idole est fait : cet Idole, qui est à quelques pas de la pyramide ouverte, est un buste taillé sur le même lieu dans le roc vif, dont il n’a jamais été séparé, quoiqu’il semble être de cinq pierres ajustées les unes sur les autres, mais y ayant regardé fort attentivement, nous avons remarqué que ce qui nous paraissait au commencement les jointures des pierres, ne sont que des veines du roc.

Illustration de François de la Boullaye-Le Gouz (1653)

Ce buste représente un visage de femme avec son sein, mais il est d’une prodigieuse hauteur, ayant 16 pieds de haut, et depuis son oreille jusqu’à son menton, il y a 15 pieds, et ce pendant toutes les proportions y sont fort bien observées.
Or quelle apparence y a-t-il de croire que tous les jours un homme eût pris la peine de descendre dans ce puits, en hasard de se rompre le col, et quand il aurait été au fond du puits, il aurait eu la peine de s’en revenir, puisqu’il n’y a point de passage, comme ont remarqué ceux qui y sont entrés. Il aurait donc fallu tailler dans le roc un passage, qui aurait été de grande dépense, et tout le monde en eût eu connaissance. Il y aurait plus d’apparence de croire qu’on y entrât par le trou que j’ai dit être dans le prétendu temple de la seconde pyramide, ou plutôt encore par un autre trou qui est à côté de cet Idole, et fort proche. Ces deux trous sont fort étroits, et presque tout bouchés de sable ; c’est pourquoi nous n’y entrâmes point, ne sachant même si nous n’y trouverions point quelques vipères ou autres bêtes venimeuses. Mais quand après avoir percé les rochers, on serait venu dans cet Idole, par où serait sortie la voix de ce feint Oracle, puisqu’il n’y a point de trou à sa bouche, ni à son nez, ni à ses yeux, ni à ses oreilles ? On me dira peut-être que cette voix sortait par le haut de sa tête, où il y a un trou, et nous tâchâmes d’y jeter des crochets attachés à des cordes que j’avais portés exprès, pour y monter, mais nous ne pûmes en venir à bout, à cause de sa hauteur, seulement y jetant des pierres, elles y restaient, et un Vénitien m’a assuré qu’y étant monté avec d’autres par le moyen de petits crochets qu’ils y portèrent avec une perche, ils trouvèrent qu’il y a un trou au-dessus de sa tête, dans lequel étant entrés, ils virent que ce trou descend toujours en se rétrécissant jusqu’au sein, où il finit. Ce n’est donc pas par là que sortait la voix de celui qui y entrait par les trous susdits. C’est pourquoi il faut conclure que s’il y entrait quelqu’un, c’était de nuit avec une échelle, et il se mettait dans ce trou qui est sur la tête, par lequel même sortait sa voix.”

(1) L’auteur utilise indifféremment le masculin et le féminin pour le mot “Idole” .
Source : Gallica

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