samedi 25 mai 2013

“Une grande face entaillée, regardant vers le Caire et faite de moult grand artifice” (description du Sphinx par Pierre Belon - XVIe-XVIIe s.)

Pierre Belon
Considéré comme l’un des plus grands scientifiques de son époque, Pierre Belon du Mans (1518 - 1564) visite l’Égypte en 1547 ; il fait partie de la suite de l’ambassadeur Gabriel d’Aramon qui était chargé par François 1er de négocier l’alliance de Soliman le Magnifique en vue de contrecarrer les projets méditerranéens de Charles Quint.
En tant que médecin et naturaliste, il est bien sûr surtout intéressé par la faune et la flore du pays, qu’il veut observer dans leur milieu naturel.
Lorsqu’il découvre le site de Guizeh, il porte néanmoins une attention particulière au “Colosse du Sphinge”, qu’il dépeint à la lumière des connaissances de son époque et de sa propre observation, avec une précision dans le détail qui nous amène à constater qu’à son époque, le nez du Sphinx n’était pas encore endommagé. Sinon, Pierre Belon n’aurait pas manqué de signaler ce “détail” dont on sait l’importance historique.

Le Sphinx, par Louis François Cassas (1790)

“A y en bien considéré une moult grande tête de pierre qui est joignant l’eau du Nil quelque peu au dessous de la grande pyramide, avons eu occasion d’admirer les ouvrages égyptiens. Et (com)bien que Pline ait beaucoup excédé en la mesure des pyramides, toutefois il a été plus raisonnable décrivant le Colosse du Sphinge, qui est au côté dextre de la grande pyramide de là-bas vers le côté d’Orient.
Nous ne voulons grandement arrêter à la description des Sphinges, car véritablement tout ce qui a été peint et écrit de cet animal, tant par les Éthiopiens qu’Égyptiens, est fable. Et mêmement Diodore les décrivant n’a su en dire autre chose, sinon qu’ils sont semblables à la peinture qu’on en fait, mais qu’ils sont un peu plus gras et qu’ils sont de douce nature. (...)
Nous voulons maintenant parler du Sphinge d’Égypte, que Hérodote a nommé Androsphinx, et duquel Strabon, Pline et plusieurs autres auteurs ont fait mention. (1) (...)
Cette pierre est assise dessus une forme cubique, qui n’est qu’une grande face entaillée, qui regarde vers le Caire. La proportion de laquelle tant de la face comme du nez, des yeux, de la bouche, du front, du menton et autres parties, est si bien gardée qu’on ne peut nier qu’elle ne soit faite de moult grand artifice. Et toutefois elle n’a aucune similitude avec les autres gravures des Sphinges. (...)
Mais cette pierre dont nous parlons est encore de plus grande merveille : car étant massive, a en hauteur soixante et trois pieds. Pline lui donne cent quarante et trois pieds de longueur. Les Sphinges ne nous arrêtent pas en ce propos. C’est la grandeur et sublimité de ce Colosse, qui n’est de moindre merveille qu’est un grand obélisque. Nous voulons bien maintenir que les Romains n’ont jamais fait faire chose d’une masse de pierre qui puisse comparaître en sublimité et magnificence d’ouvrage à une pyramide, un obélisque, et au Sphinge dont nous parlons. Aussi ce qu’ils ont jamais fait de grand a été à l’imitation des Égyptiens (...).
Reste maintenant que disions dont le Sphinge est venu aux Égyptiens : c’est que durant le signe de Leo (2) et Virgo (3), le Nil arrose les terres de l’Égypte, et les Égyptiens, voulant signifier leurs richesses, ont exprimé un monstre en sculpture, ayant le devant d’une vierge, et le derrière de lion, et l’ont nommé Sphinx ; et pour ce que c’est une chose faite à plaisir, on les voit ainsi divers en sculpture. Témoin en est la susdite grosse tête de Sphinge. Et n’y a rien plus vrai qu’elle a servi de sépulture à la manière des pyramides et obélisques.”


(1) Dommage que Pierre Belon n’ait pas fait mention de ses sources pour une telle affirmation. Il semble en effet communément admis que ni Hérodote, ni Strabon n’ont fait allusion au Sphinx de Guizeh. M.C.
(2) du Lion
(3) de la Vierge

Source : Google livres

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire