mercredi 12 juin 2013

Caviglia, Mariette et Maspero, dignes successeurs de Thoutmès IV pour le désensablement du grand Sphinx

“Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage” : ainsi pourrait se résumer tout un pan de l’histoire du Sphinx de Guizeh. Mais grand bien en a pris aux valeureux égyptologues dans leurs campagnes de désensablement du colosse, car cette patiente opération a été généralement accompagnée de découvertes importantes relatives à l’environnement immédiat du Sphinx.
Suivons quelques pages de cette histoire en compagnie de Salomon Reinach (1858-1932), archéologue français, directeur du Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, de 1902 à sa mort, dans son ouvrage Esquisses archéologiques, édité en 1888.



“Vers l’an 1500 avant l’ère chrétienne, le roi Thoutmès IV, qui venait de monter sur le trône des Pharaons, chassait un jour le lion et la gazelle dans les environs des pyramides de Gizeh. Fatigué par la chaleur, il se rendit aux pieds du géant Harmakhis et s’endormit du sommeil des chasseurs heureux.
Alors le roi Thoutmès eut un songe : il lui sembla que le géant lui parlait de sa propre bouche, comme un père à son enfant, dit notre texte. Harmakhis ordonnait au roi Thoutmès de débarrasser sa divine image des sables du désert qui l’avaient à moitié ensevelie. Au réveil, le Pharaon se souvint de l’avertissement céleste. Il mit le fellahs d’alors à l‘oeuvre, désensabla Harmakhis et, en souvenir de ce pieux travail, fit graver une stèle commémorative qui existe encore aujourd’hui.
M. Maspero, cet infatigable chasseur de temples, de statues et de momies, ce roi de l’égyptologie comme Thoutmès IV était roi de l’Égypte, a-t-il aussi, pendant une sieste bien méritée, reçu les ordres du sphinx Harmakhis ?  On le dirait, et ce ne serait que justice si Harmakhis daignait parler à celui qui est capable de le comprendre. Ce qu’a fait Thoutmès il y a trois mille ans, M. Maspero vient de l’entreprendre à son tour ; malheureusement, il n’est ni Pharaon ni vice-roi, il vit dans un temps où les journées de travail se payent,  même en Égypte, et où il ne suffit plus d’un Fiat lux royal pour écarter des montagnes de sable : il y faut de l’or. Cet or, le musée de Boulaq en a très peu, si ce n’est dans ses vitrines, où il doit rester sous clef. C’est à la France, cette patrie de prédilection de l’égyptologie, que M. Maspero a demandé des subsides pour désensabler  le colosse enseveli.
M. Maspero sait par expérience que ses appels à la générosité de notre public ne sont pas moins écoutés que celui du Sphinx à Thoutmès. Au mois de mars 1884, quand il s’est agi d’entreprendre des fouilles à Louqsor, il a demandé de l’or à Paris, et Paris ne s’est pas fait tirer l’oreille. Au mois de mars 1886, l’illustre directeur des fouilles d’Égypte a sollicité, par la plume de M. Renan, quelques offrandes pour déblayer le Sphinx, et la première liste de souscription a dépassé 12.000 francs. Les travaux, commencés à petit bruit depuis le mois de janvier, vont prendre un essor rapide, et Harmakhis ne tardera pas à être content. La libéralité du public français a produit le meilleur effet au Caire, où tout le monde, écrit M. Maspero, tant dans la ville que dans les faubourgs, ne parle plus que du Sphinx. Le géant est devenu le héros du jour, un but de pèlerinage qui fait tort à ses grands voisines les Pyramides. La nuit, par les beaux clairs de lune, il voit arriver à ses pieds des bandes joyeuses, avec des paniers de vin de champagne que l’on vide à sa santé. Mais, en buvant au Sphinx, on boit aussi à la France, et les échos de ces fêtes lointaines, renvoyés par les Pyramides à Notre-Dame, ne risquent pas de nous trouver indifférents.
Tout le monde connaît, au moins par des photographies,  ce mystérieux colosse, gardien cinquante fois séculaire du champ de repos où surgissent les Pyramides. En Égypte, les sphinx vont toujours deux par deux et forment de longues avenues en avant des temples ; seul, celui de Gizeh est isolé dans sa majestueuse grandeur. Avec son corps de lion et sa tête virile ceinte du bandeau royal, il est à la fois une effigie et un symbole. Dans l’opinion des Égyptiens, chaque Pharaon était une incarnation terrestre du dieu solaire, nulle part plus puissant et plus redoutable que sur les rives du Nil. Aussi les rois choisissaient-ils la forme du sphinx pour représenter allégoriquement leur nature divine, où se mêlaient l’intelligence de l’homme et la force du lion. Les sphinx sont des portraits royaux autant que des dieux.

“... antérieur de plusieurs siècles aux grandes Pyramides”
De quel Pharaon le Sphinx de Gizeh est-il l’image ? On l’ignore encore, mais on le saura peut-être bientôt. Ce qui est certain, c’est qu’il est antérieur de plusieurs siècles aux grandes Pyramides, antérieur, comme nous l’apprend une inscription, au règne de Chéops : c’est le doyen des monuments figurés de l’ancien monde. On l’appelait Harmakhouti, d’où les Grecs ont fait Harmakhis ; les Arabes le nomment aujourd’hui Aboul’hôl, c’est-à-dire “le père de l’épouvante”. Harmakhis, c’est le soleil à l’horizon, le soleil couchant et le soleil levant à la fois, Vesper et Lucifer. Horus sur l’horizon, gardien de la nécropole royale, symbolise la lumière renaissante qui refoule les ténèbres, l’âme qui triomphe de la mort, la résurrection ; à la lisière de la terre fertile et du désert, il représente la fécondité et la vie. Sur le plateau où il projette son ombre, les rois ont édifié leurs pyramides, les riches ont creusé leurs sépultures, et tout autour de lui, ce ne sont que temples et que tombeaux.
Il est bien établi que ce colosse a été taillé dans le roc vif, comme les gigantesques figures de l’île de Pâques, les Anga-tabou qui firent l’étonnement de la Pérouse ; sans doute, le rocher qui émergeait à cet endroit affectait d’une manière plus ou moins vague l’aspect d’un lion couché, à tête humaine, et cette première oeuvre d’art de l’Égypte vérifie le mot de Bacon, que l’art est l’homme ajouté à la nature, homo additus naturae. On s’est contenté, sur certains points, de suppléer par de la maçonnerie aux insuffisances du roc.
Le monstre a 19m,80 de long ; son oreille atteint 1m,97, son nez 1m,79, sa bouche 3m,32 ; déblayé jusqu’au sol, il sera plus élevé qu’une maison à Paris à cinq étages. Nous savons que la tête, tournée vers l’Orient, était peinte d’une couleur rouge très vive qui s’illuminait aux premiers rayons du jour.

"Abou-l-houl"


Lutte contre le sable et découvertes
L’éternel ennemi du Sphinx, ennemi que M. Maspero s’apprête à vaincre, c’est le sable du désert, tantôt montant par couches presque insensibles, tantôt poussé par le khamsin et s’accumulant en montagne contre ses flancs.
Son histoire, s’il pouvait la raconter, serait celle de sa lutte contre le sable. Nous avons vu que Thoutmès, vers 1500 av. J.-C., l’avait une première fois dégagé et avait fait appuyer
une stèle immense sur son épaule droite. Plus tard, avec cette stèle et d’autres de Ramsès II, on construisit au même endroit une sorte de temple.
Quelques siècles après, le sable l’emporte de nouveau ; avec les grandes stèles déplacées, on disposa une chambre à ciel ouvert dans le creux formé par les pattes de devant du Sphinx. Tout un ensemble de constructions, qui ont été déblayées en 1816, fut élevé là par les Prolémées et les Romains. Du temps de Trajan, l’enfouissement était si complet qu’il fallut abandonner le chemin de côté par lequel on accédait au Sphinx, et l’on bâtit, à l’usage des visiteurs, un large escalier en avant des pattes. Ces visiteurs des beaux siècles de l’Empire étaient peut-être moins nombreux que les touristes d’aujourd’hui, mais, comme eux, ils ne résistaient pas au plaisir de laisser leurs noms sur des monuments qui devaient les transmettre aux siècles futurs. C’est à cette manie que nous devons bien des inscriptions curieuses gravées par des Grecs et des Romains grécisés sur les parois et les colonnes des temples, sur le Sphinx, sur le colosse de Memnon.
Le second doigt de la patte gauche d’Harmakhis porte une pièce de quatorze vers signée d’un nom illustre, celui de l’historien d’Alexandre le Grand, Arrien. Il faudrait, pour en faire saisir le charme, la citer en grec ; mais hélas ! M. Frary a raison, et l’on n’entend plus guère, faute de s’en donner la peine, la plus belle de toutes les langues. Voici donc une pâle traduction de ces vers, dont il faut renoncer à rendre l’allure :”Les dieux éternels ont formé ton corps étonnant dans leur sollicitude pour une région brûlée par la chaleur où tu répands ton ombre bienfaisante. Ils t’ont posé comme une île rocheuse au milieu d’un large plateau dont tu arrêtes le sable. Ce voisin, que les dieux ont donné aux Pyramides, n’est pas, comme à Thèbes, le sphinx homicide d’Oedipe : c’est le suivant sacré de la déesse Latone, le gardien du bienfaisant Osiris, le chef auguste de la terre d’Égypte, le roi des habitants du ciel semblable au soleil, égal de Vulcain.”
En avant des pattes du Sphinx est une esplanade pavée, puis un escalier de trente marches, suivi d’une autre esplanade et d’une sorte d’estrade à laquelle on accède par un escalier de douze marches. Letronne a conjecturé - mais ce n’est là qu’une conjecture - que l’esplanade en avant du Sphinx servait à l’affranchissement des esclaves dans l’Égypte gréco-romaine. Le temple qui la dominait fut restauré, comme nous l’apprend une inscription, sous le règne de Septime-Sévère. Antérieurement à cette date, en 166, le mur d’enceinte avait été réparé sous le règne de Marc-Aurèle et de Verus. Ce sont là des renseignements que les inscriptions nous donnent ; mais les auteurs anciens ont fort peu parlé du Sphinx.
Ni Hérodote, ni Diodore, ni Strabon ne l’ont mentionné. Pline l’Ancien, qui lui consacre quelques lignes, en fait le tombeau du roi Armaïs, qui n’a jamais existé ; le compilateur avait mal entendu le nom d’Harmakhis donné au Sphinx par les Grecs d’Égypte. Au XIIIe siècle, un auteur arabe, Abdallatif, parle du Sphinx avec une vive admiration ; il vante la douceur majestueuse de son aspect, le sourire qui embellit eon visage. Quand on demandait à Abdallati ce qu’il avait vu de plus merveilleux, il répondait :”L’exactitude des proportions de la tête du Sphinx.” On attribue la mutilation de cette tête, qui rappelle aujourd’hui le type de la race nègre, au vandalisme des Mameluks ; ils l’auraient prise, au siècle dernier, pour cible dans leurs exercices d’artillerie. La mutilation est cependant plus ancienne, témoin ce curieux passage du bon Paul Lucas, qui visita l’Égypte à la fin du règne de Louis XIV :”Outre les grandes pyramides, on en voit proche un assez grand nombre de plus petites, de toutes grandeurs. Parmi celles-ci, il y en a une surmontée d’une tête prodigieuse en grosseur qui regarde du côté du Caire : on l’appelle le Sphinx, à cause de sa figure. La base est proportionnée au colosse qu’elle soutient. La tête de la figure a environ cent pieds de tour. Le nez en est fort mangé. Cette figure est toute d’une pièce, et l’on tient qu’elle est creuse par dedans. Elle paraît être en marbre, quoique ce ne soit que de la pierre.
Les gens d’à présent de ce pays disent qu’il arrive toujours quelque malheur à ceux qui veulent monter dessus. L’on m’en fit même plusieurs histoires ; cependant, malgré tout ce qu’on m’en put dire, si je n’eusse point été si las ou qu’il n’y eût pas tant de difficulté pour y monter, j’y aurais grimpé.” Lucas venait de faire l’ascension de la grande pyramide ; il est bien excusable d’avoir reculé devant celle du Sphinx.

Les travaux de Caviglia et de Mariette
En 1816, le capitaine Caviglia entreprit de déblayer la partie antérieure du colosse. C’est lui qui découvrit les constructions romaines et les inscriptions dont nous avons parlé tout à l’heure. Un plan de ses fouilles, qui ont été comblées depuis par le sable, fut levé par le docteur Ricci. Ce plan indiquait, derrière le grand Sphinx, des chambres inconnues, indication qui fut un trait de lumière pour Mariette, chargé d’une mission en Égypte dans l’automne de 1850. La même année, il avait commencé ses glorieuses fouilles du Sérapeum de Memphis, inspirées par un passage de Strabon ou peut-être par une page de Letronne qui avait appelé l’attention sur le texte du géographe grec. En 1859, les fouilles terminées, il se tourna vers le Sphinx. Pline s’était trompé en voyant dans le Sphinx le tombeau d’Armaïs ; mais le tombeau pouvait bien être dans le voisinage. Pour s’en assurer, Mariette manquait d’argent ; heureusement, le Mécène de ce temps-là, un Mécène doublé d’un véritable savant, le duc de Luynes, vint en aide à l’intrépide chercheur. C’est avec les fonds du duc de Luynes, auxquels vinrent s’ajouter plus tard des subsides de l’Etat, que Mariette découvrit le plus ancien temple du monde, cet étrange sanctuaire situé à 40 mètres au sud-est du pied droit du Sphinx.


“Cette bizarre construction, écrit M. Renan, ressemble moins aux autres temples de l’Égypte que le Parthénon ne ressemble à Notre-Dame.” L’auteur d’un traité sur la Déesse syrienne, qui vivait vers le second siècle de notre ère, avait dit que les Égyptiens, dans les temps les plus reculés, construisaient des temples sans images sculptées. C’est un temple de ce genre que Mariette a découvert sous le sable, dont il a déblayé l’intérieur et qu’il a rendu accessible par un escalier. Qu’on se figure un passif de maçonnerie carré, éveillant l’idée d’une forteresse plutôt que d’un édifice religieux, où l’angle droit règne partout, où le pilier n’est pas encore devenu colonne, dont les parois ne montrent aucune inscription, aucune image : à l’intérieur, deux grandes salles en forme de T et d’étroites chambres latérales avec des  niches. Rien ne nous éclaire sur la destination  de ce singulier édifice, qui semblerait appartenir encore à l’architecture mégalithique représentée par les murs dits cyclopéens en Grèce, par les enceintes des lus vieilles cités de l’Italie, par les dolmens de l’Inde, de l’Europe et de l’Afrique.
En archéologie, on n’explique qu’à la condition de rapprocher, et comme le temple du Sphinx est jusqu’à présent unique en Égypte, le problème qu’il soulève n’est pas encore résolu. Mariette lui-même a plusieurs fois changé d’avis à son égard : tantôt il inclinait à y voir un temple, tantôt il y reconnaissait un tombeau. La présence des niches, malgré l’absence de toute représentation funéraire, parlerait en faveur de cette dernière explication ; mais, d’autre part, le voisinage du Sphinx suggère naturellement l’hypothèse que le temple d’Harmakhis s’élevait auprès de son image. Dans un puits qui contenait de l’eau et qui est situé à l’intérieur de la construction, Mariette découvrit sept statues de Chéfren, le constructeur de la seconde pyramide. La plus belle, une des merveilles de l’art égyptien, est au musée de Boulaq. C’est notre faute, ou plutôt celle du gouvernement impérial, si elle ne figure pas au Louvre avec les dépouilles du Sérapeum. Mariette, arrêté dans ses travaux par le manque de fonds ne put exlorer ce puits que plus tard, avec une subvention fournie par Saïd-pacha. “Quelques centaines de francs de plus, écrivit-il à ce proos, et la statue de Chéfren serait aujourd’hui au musée du Louvre.” Du moins la science n’a-t-elle rien perdu à ce contre-temps, car la statue a été conservée depuis, grâce à ce M. Mariette et à M. Maspero, avec toute la sollicitude qui lui est due.
C’est un colosse en diorite d’une extrême dureté, qui n’a pu êre taillé qu’à l’aide d’outils aussi parfaits que les nôtres. Un sculpteur anglais disait même à M. Ebers qu’il n’oserait pas attaquer pareille matière avec son ciseau.
Comment les statues de Chéfren se sont-elles trouvées dans le puits du temple ? A quelle époque ont-elles été jetées dans cette fosse ? Autant de problèmes auxquels on ne peut répondre que par des hypothèses provisoires : l’archéologie égyptienne, qui a fait tant de grandes choses, est si jeune encore, et la vieille archéologie gréco-romaine est si souvent condamnée elle-même au “Je ne sais !”
Un des projets favoris de Mariette, c’était de désensabler complètement le Sphinx, de recommencer et de terminer le travail de Caviglia, puis de construire à l’entour un mur d’enceinte qui tînt le sable en respect et défendît au désert d’aller plus loin. C’est ce qu’il a fait pour Ipsamboul, ce qu’il voulait faire pour Edfou et pour Denderah. Absorbé par des travaux multiples qu’il poursuivait à la fois sur un trop grand nombre de points, Mariette ne put donner suite à cette idée.
Mais en 1879, dans une lecture faite devant les cinq Académies, qui est en quelque sorte son testament archéologique, Mariette indiquait le déblaiement du Sphinx comme un des travaux les plus utiles qui s’imposaient à la directon des fouilles.
“Le sphinx et son temple, disait-il, nous apparaîtront alors dans leur état primitif et aucune des particularités qu’ils présentent ne pourra nous échapper. Pline ne paraît se tromper qu’à moitié en disant qe le Sphinx est un tombeau. Il ne serait pas impossible que, comme à Denderah, à Edfou, à Karnak, à Philae, existât quelque part dans le corps du monstre une crypte, un caveau, une chapelle souterraine qu’on aurait prise pour une tombe. Le père Vansleb a bien parlé d’un puits qui aurait son ouverture dans le dos du Sphinx.”



Maspero, “un homme heureux qui doit avoir sa part à l’immortalité des monuments qu’il déblaie”
M. Maspero a tenu à honneur de reprendre et de mettre à exécution le projet de Mariette. Jusqu’au milieu du mois d’avril, il n’avait fait que renouveler les fouilles de Caviglia, comblées depuis par le sable : il avait déblayé la poitrine, une partie des pattes et de l’escalier qui descend à la plaine. Mais, à ce moment, la cohésion et la dureté des couches inférieures lui firent comprendre qu’il attaquait des parties auxquelles on n’avait pas touché depuis des siècles. Aux termes de sa dernière communication, il se proposait de porter l’effort sur deux points, sur la patte droite et sur les premières marches de l’escalier. Peut-être allait-on directement du Sphinx au temple de granit qui est à sa droite, et alors on risquerait de rencontrer, le long du chemin, une décoration de statues analogue à celle que Mariette découvrit au Sérapeum. Peut-être aussi quelque chapelle inconnue se dissimule-t-elle dans l’espace qui sépare le Sphinx du temple de granit. Les artistes égyptiens ont toujours représenté Harmakhis posé sur un socle cubique orné de rainures et de dessins analogues à ceux qu’on observe sur divers sarcophages de l’ancien empire. Il s’agit de savoir s’ils ont obéi à un caprice d’artiste, ou s’ils ont reproduit le spectacle qu’ils avaient sous les yeux : en d’autres termes, si le Sphinx est couché à même sur un lit de roc ou si on lui avait taillé dans la montagne un socle gigantesque. Dans cette dernière hypothèse, continue M. Maspero, on aurait chance de rencontrer sur la face orientale une porte de temple ou de tombeau. Et alors, si c’était le tombeau de Ménès ? Toutes les espérances sont permises quand on remue un sol presque vierge. Il est vrai que l’on ne trouve presque jamais ce que l’on cherche ; mais on s’en dédommage souvent, et au-delà, en découvrant autre chose à quoi l’on ne songeait point.
Quelques semaines encore, et pour la première fois depuis Thoutmès, le grand Sphinx sera entièrement dégagé. M. Maspero ne fera point dresser de stèle commémorative de son travail ; il n’a pas besoin de cela pour que la postérité s’en souvienne. C’est un homme heureux qui doit avoir sa part à l’immortalité des monuments qu’il déblaie.

Ô pattes d’Harmakhis, vous reparaîtrez à la lumière, vous serez délivrées des monts de sable qui vous écrasent, vous pourrez, au besoin, vous défendre d’un coup de griffe contre les bons touristes arrmés de marteaux qui tenteraient - et ils le tenteront sans doute - de se faire des presse-papiers à vos dépens !"

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