lundi 10 juin 2013

Un “témoin, muet à tout jamais” (Louis Malosse - XIXe s.- à propos du Sphinx de Guizeh)

La description du Sphinx de Guizeh, que l’on lira ci-dessous, a pour auteur Louis Malosse (1870-1896). Elle est extraite de Impressions d'Égypte (1896).
Je n’ai trouvé sur cet écrivain-poète aucune information, hormis cette brève critique, pour le moins élogieuse : ”Je parlerai de M. Louis Malosse pour dire qu’il a quelquefois le souffle épique et une largeur de facture qui est assez rare. La plupart de ses poèmes sont des récits qui rappellent la manière de la Légende des siècles, et ce mélange de l’épique et du lyrique qui est une des conquêtes et qui fut un des charmes du XIXe siècle. (...) Je parlerai de M. Luis Malosse pour dire que, quelquefois, chez lui, le fragment épique s’élève aisément à la hauteur d’un poème philosophique et alors ne manque pas d’une réelle grandeur.” (Emile Faguet, cité par Le mouvement poétique français : de 1867 à 1900, de Catulle Mendès)
En complément, j’ai inséré un lecteur de Chimériques (1895), du même auteur, où l’on pourra lire le poème “Le Sphinx” (pp. 23-29 - à partir de 27 au compteur en haut à gauche du lecteur), où “le vieux sphinx de granit, sur son socle de pierre” sert de refuge momentané à la Sainte Famille, lors de sa fuite en Egypte.

Luc-Olivier Merson : Le Repos pendant la fuite en Egypte,1880


“Le Sphinx, corps de lion à tête humaine, est enfoui dans le sable. Le visage seul est visible. Encore faut-il chaque année faire des travaux de déblaiement assez considérables, le désert, sus la violence des khamsins, jetant ses tourbillons de sable sur ce monument qui serait le plus ancien de ceux que nous ont légués les Pharaons. Son existence serait antérieure à celle de Chéops ; il aurait été consacré à la gloire d’un dieu solaire. La face a été meurtrie ; le nez et les joues sont mutilés. Néanmoins, l’expression du visage est toujours belle.
Le Sphinx doit être contemplé par un clair de lune. Sa face, devenue blanche et pâle, semble énigmatique et comme voilée à la façon de ces princesses turques qui se cachent le visage derrière un fin tissu transparent de mousseline blanche. Les meurtrissures disparaissent.
Le bruit qui se fait autour de lui le laisse impassible. Les clameurs des touristes, de leurs guides, de leurs bêtes, ne le troublent pas. Il a vu des tempêtes plus fortes, des calamités plus terribles, depuis le siècle qui l’a vu naître. Il ne connaît qu’un ennemi, qu’un vainqueur : le sable. Là, l’homme vient à son secours, repousse le désert envahisseur. Il inspire une crainte indéfinissable, angoissante, tant son masque reste indéchiffrable, tant il semble garder dans sa carcasse de pierre de choses ignorées et terribles.
On reste stupide devant lui. Dans ses yeux pourtant sans expression, on devine un regard inquisiteur ; dans ce ragard imaginaire, on voit plus de cinquante siècles écoulés.
De cette contemplation, l’histoire apparaît comme la grande science, trésor inépuisable de faits et de légendes. L’imagination se met en mouvement, découvre des temps inconnus, des âges lointains, des multitudes mystérieuses. Cette face éclairée par la lune est inoubliable. On sent qu’elle revivra dans les souvenirs des années les plus lointaines, qu’elle est gravée à jamais dans la mémoire. Le problème de l’antiquité est une énigme dont la solution semble n’être connue que de ce témoin, muet à tout jamais...”


*******************

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire